Dans cette campagne ébouriffante, tout aura été inédit jusqu'au bout. Y compris cet ultime duel télévisé que Marine Le Pen a délibérément transformé en combat de rue. Dans l'agressivité, l'invective, les insinuations, la grossièreté parfois, les approximations et les mensonges, il a dépassé, et de loin, les débats les plus brutaux de la campagne présidentielle américaine entre Donald Trump et Hillary Clinton.
La candidate du FN s'est-elle dit que, perdu pour perdu, elle devait jouer le tout pour le tout ? Toujours est-il qu'elle n'a eu qu'une idée en tête : pousser Emmanuel Macron à la faute et le faire « disjoncter ». Pour y parvenir, elle a dynamité tous les codes du genre, à commencer par celui de la bienséance et de la nécessaire solennité du moment. En d'autres termes, elle a voulu faire exploser le « système ». Drôle de paradoxe, en vérité, de la part d'une candidate qui fait, comme les autres, partie du « système » et qui rêve même, en voulant accéder à l'Élysée, de l'incarner à elle toute seule.
Alors qu'elle n'aurait dû songer qu'à rassembler pour tenter de dépasser la barre fatidique des 50 %, elle a pris le risque de ne parler qu'à son camp, confondant un duel télévisé d'entre-deux-tours et un simple meeting. Pour résumer, elle a choisi non pas d'adopter la posture d'une possible future présidente de la République, mais d'endosser le costume de chef de l'opposition.
Un débat consternant, mais salutaire
Le résultat, pour le téléspectateur, fut consternant sur la forme, affligeant sur le fond. Perdue dans ses fiches, elle a enchaîné les contrevérités. Elle s'est embrouillée sur l'abandon de l'euro et les modalités de sortie de l'Union européenne. Elle s'est contredite sur le retour à la retraite à 60 ans qu'elle promettait dans les deux mois après son élection et qu'elle a soudainement conditionné au retour au plein emploi et repoussé au mieux à la fin de son quinquennat. Surtout, plus occupée à salir son adversaire qu'à développer son programme, elle s'est cantonnée aux seuls constats sans jamais formuler de solutions concrètes ni avancer le moindre chiffrage de son programme. Le tout ponctué de rires et de sarcasmes pour surligner le profond mépris qu'elle éprouve pour Emmanuel Macron.
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Voilà très précisément pourquoi ce débat fut utile et même salutaire. En deux heures trente de confrontation, les deux candidats sont apparus dans leur vérité crue. Marine Le Pen, notamment, a démontré par l'absurde que la « dédiabolisation » dont elle se prévaut n'est pas achevée, loin de là. Elle a surtout fait preuve d'une impréparation et d'une méconnaissance des dossiers, fort éloignées des compétences requises pour prétendre devenir chef de l'État. Les démocrates américains reprochaient exactement la même chose à Donald Trump, ce qui ne l'a nullement empêché d'être élu.
La veille de ce débat, d'ailleurs, un grain de sable était déjà venu se glisser dans les rouages d'une campagne que d'aucuns croyaient bien huilés : une partie du discours de Marine Le Pen à Villepinte (près de 4 minutes tout de même) était un copié-collé d'un autre discours prononcé à la mi-avril par François Fillon au Puy-en-Velay. Ses lieutenants ont vainement tenté de se justifier, expliquant qu'il ne s'agissait pas d'un pillage en bonne et due forme, mais d'un « emprunt », et même d'un message subliminal adressé aux électeurs de la droite. La vérité est plus cruelle : la campagne bulldozer de Marine Le Pen a souvent frôlé l'improvisation, voire l'amateurisme. Derrière sa détermination sans faille, une autre réalité crève les yeux, sans doute sa plus grande faiblesse : elle n'est pas ou peu entourée. Si Nicolas Dupont-Aignan n'avait pas fait alliance avec elle, qui d'autre aurait-elle bien pu nommer à Matignon ?
Source : lepoint